Monsieur Karamo Mady Camara, Juriste-Consultant, se prête donc à nos questions dans le cadre de cette interview, pour éclairer les lanternes des uns et des autres sur le concept de RSE, et de ce qui en est dans l’écosystème des Entreprises en Guinée.
Guineeactusociale.com: Bonjour Karamo Mady. Vous avez été Juriste d’Entreprise avant d’être aujourd’hui Consultant sur des questions juridiques. Pouvez-vous nous parler du concept de Responsabilité Sociale d’Entreprise ? en d’autres termes, que doit-on entendre par Responsabilité Sociale d’Entreprise appelée RSE ?
Karamo Mady Camara : Bonjour Monsieur Diallo. Merci de m’avoir sollicité pour aborder avec vous une thématique importante dont l’usage prend de plus en plus d’ampleur au sein des entreprises. Avant de répondre à votre question, permettez-moi in liminé litis, avant tout débat au fond, d’apporter une précision sémantique.
En effet l’abréviation RSE se définie usuellement tantôt comme Responsabilité Sociétale d’Entreprise, tantôt comme Responsabilité Sociale d’Entreprise. Alors ce qu’il faut retenir, c’est que le mot sociétal s’est répandu dans les années 1970 et les dictionnaires l’ont enregistré sans vraiment marquer la différence de sens avec social (c’est d’ailleurs un problème chronique des dictionnaires généralistes). Il faut donc se référer à l’usage qui est fait des deux termes : social reste le mot principal pour tout ce qui touche à la société comme corps organisé ou pour les rapports des personnes et des groupes entre eux tandis que sociétal est médiatiquement usité pour tout ce qui touche aux mœurs, aux institutions et aux règles de ladite société. Il a remplacé en partie la tournure « de société » que l’on entendait beaucoup plus auparavant par exemple comme on l’entend souvent, le problème de société est tel ou tel. Personnellement, ma préférence est Sociétale qui est apparu plus tardivement que social car il veut mettre en exergue les éléments sociologiques de notre période actuelle alors que c’est bien cela le fondement de la RSE.
Pour revenir à présent à votre question, nous pouvons dire que la responsabilité sociétale des entreprises est la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société. En clair, c’est une contribution volontaire des entreprises au développement durable. Une entreprise qui élabore une politique de RSE s’engage à “intégrer les préoccupations en matière sociale, environnementale, éthique, de droits de l’homme et de consommateurs dans ses activités commerciales et sa stratégie globale’’. Mais en réalité, dans les pays moins avancés ou les besoins sociaux restent insatisfaits, la notion de RSE est étendue à la satisfaction de ces besoins par les Entreprises souvent de manière volontaire. C’est pourquoi vous verrez souvent des entreprises construire des écoles, des forages, des mosquées etc. pour les communautés impactées par leurs projets. Parfois, elles y sont contraintes par ces mêmes communautés lorsqu’elles réalisent le gap qui existe entre l’activité économique de ces entreprises dans leurs localités et la faible incidence sur leur bien-être. Donc en résumé, la RSE peut être considérée comme la mise en pratique du développement durable par les entreprises. et vous savez bien que le développement durable repose sur trois piliers qui intègrent tous les aspects fondamentaux que nous avons précédemment évoqués.
Guineeactusociale.com : Quelle est l’origine de la RSE ? comment est né le concept ?
Karamo Mady Camara : Vous m’amener à faire de l’histoire (rires). Brièvement, ce qu’il faut retenir c’est que la RSE trouve son origine au XIXème siècle. À l’époque, certains patrons se comportaient déjà de façon «sociétalement responsable » envers leurs employés, en mettant à leur disposition des avantages tels que la prise en charge de l’éducation de leurs enfants, des services sociaux, etc. Cela leur a permis de fidéliser leurs employés, mais surtout d’éviter les soulèvements sociaux
Et c’est vers la fin du XXème siècle que le nouveau concept de RSE se développe et prend de l’ampleur.
Guineeactusociale.com : Quelles sont les entreprises concernées par la RSE ?
Karamo Mady Camara : Toutes les entreprises, quels que soient leur taille, leur statut ou leur secteur d’activité, peuvent mettre en œuvre une démarche de RSE. En France par exemple, depuis l’adoption de la Loi Pacte et la modification du code civil en 2019, toutes les entreprises françaises sans exception, doivent prendre en considération les enjeux environnementaux et sociaux dans la gestion de leurs activités. Ce qui consacre un socle minimal légal d’intégration de ces dimensions RSE dans le fonctionnement des entreprises. Cela veut dire que ce n’est pas foncièrement la stabilité financière de l’entreprise qui définit son aptitude à intégrer la RSE dans ses activités. C’est pourquoi d’ailleurs les multinationales aussi bien dans leurs pays d’origine que dans les pays de leurs filiales comme chez nous en Guinée ou beaucoup de multinationales sont implantées, les fournisseurs ou sous-traitants sont aussi de plus en plus incitées à adopter une telle démarche et parfois en subordonnant l’attribution de marchés à ces entreprises au respect des mesures environnementales, sociales et de gouvernance.
Guineeactusociale.com : Cette RSE se matérialise sous quelle forme, et au bénéfice de qui spécifiquement ?
Karamo Mady Camara : Quand une entreprise s’engage dans une démarche de RSE, cela implique qu’elle prenne des mesures concrètes qui permettent de répondre aux enjeux particuliers de son secteur d’activité. Par exemple une entreprise qui exploite le bois emploiera des méthodes plus respectueuses de l’environnement. Une cimenterie privilégiera des actions de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. Une entreprise minière prendra en compte la protection de l’environnement et la compensation des communautés impactées par ses activités. Donc tout dépend du secteur et de l’orientation stratégique de l’entreprise concernée.
Vous parlez de matérialisation, d’un point de vue formel cela se traduit par des conventions ratifiées qui prennent en compte ces exigences. Mais il est nécessaire que ce type d’engagement soit suivi d’effets par des actions concrètes.
Pour le dernier pan de votre question relatif aux bénéficiaires il faut dire que l’écosystème de l’entreprise est le principal bénéficiaire je pense aux actionnaires, au salaries, aux clients, aux fournisseurs et sous-traitants, aux communautés locales et l’Etat.
Guineeactusociale.com : En Guinée, la RSE est-elle encadrée légalement RSE ?
Karamo Mady Camara : Il n’y a pas une législation ou règlementation spécifique à la RSE. Cependant, les dispositions du Code minier, du Code de l’environnement, par exemple exigent une étude environnementale et sociale pour les projets d’envergure qui peuvent avoir un impact sur l’environnement, l’écologie et les communautés. A l’intérieur des conventions également avec l’Etat, des dispositions sont prévues pour la prise en compte de ces exigences. Pour les projets existants, il y a périodiquement une évaluation de ces aspects par le Bureau Guinéen d’Etude Environnementale. Il y a quand même des dispositions qui peuvent être applicables en la matière.
Guineeactusociale.com : au vue de l’actualité liée aux entreprises en Guinée, surtout les multinationales, peut-on dire qu’elles font face leurs RSE ?
Karamo Mady Camara : Oui et non. Oui parce que certaines entreprises en général des multinationales sont assez vertueuses et s’efforcent de mettre en œuvre les exigences de la RSE aussi bien du point de vue environnemental que social et économique. Elles sont dans le secteur minier et de la minoterie. En revanche non parce que l’essentiel des entreprises ne s’y collent pas et contribuent notoirement a dégrader l’environnement et ne se soucient point des exigences qui fondent la RSE. Pour ces entreprises, le fait de construire quelques infrastructures sociales de base suffit à dire qu’elles se conforment à la RSE alors que, comme nous l’avons dit, la RSE a une dimension plurielle.
Guineeactusociale.com : Quel est l’inconvénient de la non-application de la RSE par des entreprises existantes dans une collectivité donnée ?
Karamo Mady Camara : Je pense plutôt qu’il faille reposer autrement la question en s’interrogeant sur les bénéfices de la RSE pour les entreprises. A cet égard je pense que pour les entreprises, une démarche de RSE conduit à une performance globale des entreprises en termes de gestion et de management des risques, des économies d’échelles avec l’utilisation d’outils performants et écologiques moins voraces en consommation de lubrifiants, l’avantage concurrentiel car une entreprise qui se soucie des vertus indus de la RSE est considérée plus responsable qu’une autre qui en fait fi., la possibilité de lever des fonds parce qu’il y a ce qu’on appelle l’investissement responsable qui est étroitement lié à la RSE. , il s’agit pour les investisseurs qui pratiquent ce genre d’investissement, d’évaluer et de sélectionner dans leurs portefeuilles les entreprises les plus vertueuses de leurs secteurs selon des critères Environnementaux Sociaux et de Gouvernance en d’autres termes qui appliquent la RSE. Ces investisseurs considèrent en effet que ces entreprises sont plus performantes et plus solides. En général, les établissements bancaires partagent cette vision et prêtent prioritairement à ce type d’entreprise. De nombreuses études convergent également sur le fait que les entreprises pratiquant la RSE sont des entreprises plus performantes économiquement. Sur le plan social, il y a la fidélisation des employés qui auront la fierté d’appartenir à une entreprise et bien d’autres avantages comme la reconnaissance des communautés locales etc.
Toutefois en restant dans la logique de votre question, si les entreprises ne se collent pas à la RSE, à terme, leur pérennité est mise en cause avec l’usage abusif des ressources qui servent de matières premières ou les changements climatiques qui peuvent provoquer des effets pervers. Il y a aussi le fait que l’entreprise risque de voir son image ternie et son capital réputationnel s’effriter. Et enfin je pense que pour les entreprises évoluant dans les secteurs agroalimentaires par exemple, les consommateurs deviennent de plus en plus exigeants et poussent les entreprises à être plus transparentes sur les conditions de production et à proposer des produits plus respectueux de l’environnement. c’est pourquoi vous entendez souvent parler de produit bio.
Guineeactusociale.com : Votre mot de la fin ?
Karamo Mady Camara : Je vous remercie d’avoir porté votre choix sur ma modeste personne pour parler de ce sujet qui devient incontournable dans la sphère des entreprises. J’espère que les réponses apportées à vos questions édifieront davantage les lecteurs et aideront non seulement à une compréhension de la notion mais aussi une meilleure prise en compte dans le processus de transformation qualitatif de notre société. Merci encore une fois et à la prochaine.
Guineeactusociale.com : Merci à vous également pour la disponibilité et ces pertinents éclairages.